A. Contexte de réalisation de l’œuvre
L’appellation « Primitifs Flamands », apparaît au XIXe siècle pour désigner un ensemble d’artistes actifs au XVe et au début du XVIe siècle dans les anciens Pays-Bas, dont Robert Campin (vers 1375-1444), Jan van Eyck (vers 1390-1441) et Rogier van der Weyden (vers 1400-1464) sont considérés comme les trois maîtres. Contemporains des artistes italiens du Quattrocento, les Primitifs Flamands font la transition entre le gothique international et la Renaissance : ayant assimilé les leçons de perspective, ils sont cependant fidèles au style gothique (tenue des personnages, rareté du nu, éléments architecturaux gothiques), et sont à l’origine d’un tournant caractéristique dans l’art : le perfectionnement et l’utilisation systématique de la peinture à l’huile. Les historiens de l’art considèrent le plus souvent que le dernier représentant de ce « courant » est Gérard David (1455-1523), élève de Hans Memling (vers 1435-1494) qui fut actif à Bruges où il était reconnu comme un artiste d’exception. On peut découvrir cet artiste et quelques-unes de ses œuvres en se rendant au second étage de l’aile Richelieu du Musée du Louvre (salle 6) : y sont présentés le Triptyque de la famille Sedano, Dieu le Père bénissant entre deux anges (lunette formant le couronnement d’un polyptyque) et le retable des Noces de Cana.
Gérard David, Dieu Bénissant entre deux anges, couronnement d’un polyptyque, 1506, huile sur bois, 46 x 88 cm, Paris, Louvre, inv. R.F. 2228
Source image : Joconde
Gérard David, Triptyque de la famille Sedano, 1490-95, huile sur panneau, 97 x 72 cm (panneau central), Paris, Louvre, inv. R.F. 588
Source Image : Web Gallery of Art
Gérard David, Noces de Cana, v. 1500, huile sur bois, 100 x 128 cm, Paris, Louvre, inv. INV 1995
Source image : Web Gallery of Art
Les Noces de Cana, huile sur panneau de bois, sont une commande du marchand castillan Jean Sedano, sans doute en raison de l’entrée de celui-ci dans la Confrérie du Saint-Sang (dont le but est de conserver la relique contenant le sang sacré du Christ, rapportée de la deuxième croisade par un citoyen brugeois). On en retrouve en effet les emblèmes brodés sur le manteau que le commanditaire porte : rameaux d’argent entrelacés et gouttes de sang.
Gérard David, Noces de Cana (détail), v. 1500, huile sur bois, 100 x 128 cm, Paris, Louvre, inv. INV 1995
Source image : © Photo Thérèse Kempf
Le récit des noces de Cana est tiré de l’Évangile de Jean, seul évangéliste à ne pas relater la Cène, dernier repas du Christ avec ses disciples où il institue l’Eucharistie en disant « ceci est mon corps, ceci est mon sang ». A la place, saint Jean choisi de figurer l’Eucharistie à travers deux récits de la vie du Christ : les noces de Cana (Jean, 2, 1-11), épisode qui n’apparaît dans aucun autre évangile, et la multiplication des pains (Jean, 6, 1-15). Par ces deux miracles (transformation de l’eau en vin dans le premier et multiplication des pains et des poissons dans le second) sont mis en avant le don que Jésus fait de son sang et de son corps. Le choix du thème iconographique pour marquer l’entrée de Jean Sedano dans la Confrérie du Saint-Sang ne paraît donc pas anodin.
Ce thème iconographique est également à replacer dans le contexte religieux de l’époque ; au XVe siècle, la Devotio Moderna, mouvement spirituel apparu à la fin du XIVe siècle aux Pays-Bas, atteint son plus grand développement. Ce mouvement initié par Gérard Groote (1340-1384) encourage à s’imprégner de la vie du Christ par la prière et la contemplation afin de mieux vivre sa foi au quotidien, et se base notamment sur le livre Imitation de la vie de Jésus Christ (anonyme, fin XIVe siècle). Ce mouvement va avoir des répercussions sur l’art, puisqu’on va dès lors voir se multiplier des portraits de personnes en prière ou en méditation, ainsi que des « tableaux visions », où des personnes contemplent une figure sainte qui leur apparaît par l’étude d’un texte sacré, d’une prière.
Robert Campin, dit le Maître de Flemmale, Triptyque de Mérode, v. 1427, huile sur bois, 64.1 x 117.8 cm, NY, Metropolitan Museum of Art
Source image : Web Gallery of ArtJan van Eyck, La Vierge du chancelier Rolin, 1435, huile sur bois, 66 x 62 cm, Paris, Louvre
Source image : Web Gallery of Art
Rogier van der Weyden, Retable de saint Columba (panneau central), 1455, huile sur panneau, 138 x 153 cm, Munich, Alte Pinakothek
Source image : Web Gallery of Art
C’est le cas des Noces de Cana de Gérard David : y sont en effet représentés le commanditaire, son épouse, et son fils, en position de prière, aux angles inférieurs du tableau (on les retrouve d’ailleurs dans cette position dans une autre œuvre réalisée par Gérard David, que l’on a citée plus haut : le Triptyque de la famille Sedano). Les commanditaires méditent donc sur le texte de saint Jean et regardent, avec le spectateur, le banquet de noce qui prend forme sur le bois.
A suivre : Les Noces de Cana – Gérard David : B. Composition de l’œuvre
Thérèse Kempf
UPJV – L2 Histoire de l’Art
Bibliographie :
Max FRIEDLÄNDER, De Van Eyck à Breughel – Les primitifs flamands, trad. De Walter Vitzthum, coll. Imago Mundi, Éditions Gérard Monfort, Brionne, 1985, 175 p.
Craig HARBISON, La Renaissance dans les pays du Nord, trad. Dennis Collins, coll. Tout l’Art-contexte, Calmann and King Ltd, Londres, 1995, Flammarion, Paris, 1945, 176 p.
sous la direction de Brigitte de PATOUL et R. VAN SCHOUTE, Les Primitifs flamands et leur temps, La Renaissance du Livre, département de De Boeck – Wesmael, Belgique, 1994, 656 p.
sous la direction scientifique de Dr Ria FABRI et Dr. Nico VAN HOUT, De Quinten Metsijs à Peter Paul Rubens – Chefs-d’oeuvre du Musée Royal réunis dans la cathédrale, catalogue de l’exposition à la Cathédrale Notre-Dame d’Anvers, 5 juin – 15 novembre 2009, Ed. Kathedrall UZW & Bai Publishers, Belgique, 2009, 226 p.
Très passionnant cet article , j’avoue avoir découvert des informations très intéressantes . Le regard que vous portez est très perçant et nous invite à une véritable visite guidée de l’œuvre .
Bravo, il faut poursuivre ! Et surtout diffuser davantage !
Hum! Triptyque ( qui vient du grec « triptukhos », plié en trois, triple). Intéressant commentaire iconographique. Reste à transformer cette « image », en peinture, en oeuvre de l’art.